vendredi, juin 04, 2004

Sur le depart, bientot

Salut tout le monde,
Une de mes dernieres missives du vendredi.
Hier je suis allee reserver mon billet d'avion de retour. J'arrive le 21juin a Paris et je suis super contente de prendre des vacances.
Bon c'etait pas facile, il y a toujours de reports de derniere minutes, des remplacants qui n'arrivent jamais, des balades dans la region qui se planifient et ne se font jamais, mais finalement j'ai arrete la date et c'est SUR, cette fois je le prends l'avion. En plus j'avoue que la perspective de me balader dans la foule a aller de concert en concert des mon arrivee me rejouis. Deja j'ai super envie d'aller voir des concerts (bon la je ne suis pas sure que la fete de la musique soit forcement une experience tres tres satisfaisante, j'avoue), mais je crois aussi que ca va me faire assez plaisir de me balader librement dans des rues pleines de badauds qui badaudent (parce que a Baghdad on en se balade pas trop et a Amman il n'y a personne dans les rues et du coup on ne se balade pas trop non plus).
Enfin il me reste encore un point important de mon programme de l'annee a finir : aller me baigner dans la mer morte et voir si moi aussi je peux marcher sur l'eau. Pour tout le reste j'ai fini par remettre a plus tard (la Palestine, la Syrie, la Jordanie...) pour quand je serais plus en fonds et moins pressee.

Je pense que la je traverse ma crise des 6 mois (mais comme j'ai toujours ete en retard ca ne se manifeste qu'au bout de 7 et demi) et j'en ai vraiment ma claque de travailler trop pour un homme raisonnable, de voir toujours les memes tetes et parler toujours des memes choses avec les memes gens.
Qu'on ne se meprenne pas, j'adore et je me sens tres concernee par la misere du monde, mais la j'ai vraiment besoin de vacances avant de vraiment commencer a traumatiser mes assistants (quoi qu'ils ont dus en voir d'autres).
Mais c'est vrai que le milieu humanitaire modele une grille de lecture du monde assez particuliere. On parle en centaines de milliers de dollars, voire en millions, on achete des connections internet (qui marchent mal) a des prix defiants toute concurrence (mais que je mettrais plus d‚un an a gagner), on discute des heures a travers des telephones satellites a pres de 10 euros la minute, tout ca pour aider‚ (sauver ???)des gens qui en gagne en moyenne 30 par mois et ne nous ont finalement rien demande.
Bon j'exagere un peu mais pas tant que ca finalement. Il est temps de prendre du recul et remettre les choses en perspectives. Evidemment, je travaille pour une Ong francaise, qui essaye de garder une certaine ethique, ce que je viens de decrire doit etre multiplie par 10 pour d'autres structures (UN, ou contractants americains par exemple) et on peut toujours se dire que nous ne sommes pas les pires.
Enfin j'ai besoin de vacances quoi (j'ai pas deja dis ca ?)

Je me demande si on depasse ce cap au bout d'un certain temps ou si on apprends a vivre avec et a composer un melange de cynisme et de vraie foi humanitaire (il y en a encore qui l'ont je les ai rencontre) qui font le vrai baroudeur. Comme je n'ai encore ni de tatouage, ni de couteau, je ne concoure pas encore dans cette categorie et du coup je m'autorise a avoir des etats d'ames et raler sur tout le monde.

Ce qui est difficile aussi c'est a la fois de respecter les cultures differentes de la sienne (etre "culturally sensitive"‚ quoi) sans se faire abuser et marcher sur les pieds en son nom (parce que les hommes sont quand meme un peu flemmards par ici).

Un autre exemple extremement pratique et qui continue a se poser est la question du voile. Faut-il que je mette un foulard sur mes cheveux quand je vais a Baghdad ?
D'un cote, c'est pratique, on passe incognito et personne ne se demande si je suis etrangere ou non (en plus une femme ne parle pas et baisse les yeux donc je ne reponds pas quand on m'adresse la parole, donc personne ne sait que je ne parle pas arabe, vu que je suis aussi toujours accompagnee par un chauffeur, baraque de preference).
D'un autre cote, presqu'aucune femme qui travaille avec nous ne porte de voile au bureau comme a l'exterieur. L'une d'elle m'a meme explique que sa grand mere faisait partie des pionnieres a Baghdad qui ont ote leur voile en public. Les chretiennes ne portent pas le voile et finalement il y a quand meme pas mal de femmes devoilees en Irak. Ne devrais-je pas supporter leur choix plutot que l'acceptation d'un certain conformisme social ?
En tant que membre d'une ONG nous sommes senses a la fois defendre certaines valeurs (et en l'occurrence ici, l'une d'entre elle est le respect de toutes les croyances) et respecter les regles de securite destinees a permettre l'implementation de nos programmes.
Respecter la diversite ne doit-il pas aussi passer par la defense de la pluralite ? A ce titre et en tant que non croyante, ne dois-je pas apprendre aux autres a respecter ma difference ? Bien sur il faut qu'il y existe des passerelles de communications, mais je crois que les irakiens savent qu'il existe quelque chose de l'autre cote des frontieres ou les gens ne vivent pas comme eux. Peut etre est-il important aussi de leur montrer que les gens de l'autre cote de la frontiere ne sont pas tous des tortionnaires habilles en khaki.
Evidemment, la reponse est differente en fonction de l'irakien a qui on la pose. Et comme souvent on me demande d'etre culturally sensitive‚ surtout quand ca les arrange. Reste a determiner la frontiere entre "a Rome faisons comme les romains"‚ et "la tu pousses un peu mon coco". Et encore je remercie le ciel de m'avoir faite franco-vietnamienne (et donc a priori, voire "genetiquement" du cote des "gentils") et d'avoir deja ca a ne pas justifier en permanence (quoiqu'on m'a demande plusieurs fois d'eclaircir mon arbre genealogique, evidemment je n'ai pas pu m'empecher de glisser que j'avais de la famille americaine (york york 'ricanement), rien n'est simple).
Heureusement, on m'a dit plusieurs fois que je fumais beaucoup trop pour etre une femme acceptable (bizaremment ma laicite affiche n'a pas ete evoque a ce sujet\:-). Je pense que je vais continuer a griller mon paquet/jour, finalement on le croirait pas comme ca mais fumer comme un pompier peut aussi etre un bonus social ;-)

A part ca, pas encore degoutee je vais peut etre m'attaquer a un programme de "construction de la societe civile" qui me ramenerait a Baghdad en aout.
Bon en meme temps comme j'ai pleins de trucs a boucler avant de pourvoir partir une premiere fois, je ne sais pas si j'aurais le temps de lancer ce projet avant de partir (et ce sera beaucoup plus complique depuis la France, specialement si je suis en vrai vacances).
Ce qui est terrible c'est que je ne peux pas m'empecher de ricaner quand j'en parle. A la fois je suis convaincue que c'est un projet necessaire avec un impact certes faible en nombre de beneficiaires directs, mais indispensable (et c'est un "petit" programme, qui ne se compte meme pas en millions), le projet est interessant, realiste et contribuera a la construction d'une Irak plus stable et pacifique (c'est la que je ricane).
Et en meme temps, franchement, c'est la guerre, qui se soucie des organisations d'irakiens et des projets a 200 USD alors que des milliards sont detournes. Qu‚est ce que les 20 beneficiaires directs de mon projet vont pouvoir faire pour changer le monde ?
En meme temps l'idee de l'humanitaire ce n‚est pas de considerer l'Homme plutot que la societe ? et si ce sont les hommes qu'on vise alors il faut aussi des projets a echelle humaine. (Enfin la faudrait que je developpe un peu sur l'Homme plutot que la societe mais ce sera une autre fois)
Au final, il ne se fera probablement que si j‚ai le temps et l'energie de le faire, et sinon je sais que d'autres preparent des projets paralleles, donc je ne suis pas hyper inquiete non plus. Mais quand meme je crois que ce serait bien si je trouvais un moyen de le faire tout en restant penetree de l'importance de ma mission, non ?

Avec tout ca je passe peu de temps a explorer les pays dans lesquels je vis et que je connais a peine plus qu'en arrivant (un peu plus forcement vu qu'en arrivant je ne connaissait rien). Ce que je trouve un peu effrayant aussi a la reflexion.
Pour dire, je n'ai meme pas eu le temps d'acheter de tapis... terrible, si ca se trouve je vais devoir me rattraper a l'aeroport... (non je rigole, tant pis pour les tapis), et si il n'y avait que ca...

En attendant de vous revoir
bisous a tout le monde

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